Costume historique - une blouse Belle Epoque, seconde partie

Quand je disais dans mon précédent article que j'avais le projet d'une blouse Belle Epoque depuis longtemps, c'était un peu un euphémisme. Le patron de cette blouse est un des premiers que j'ai achetés, il y a quelque chose comme quinze ans.
Corsage-blouse en taffetas, 1893
Fort heureusement, il y a quinze ans j'ai eu la chance d'être très bien conseillée quand j'ai approché le costume historique, et le patron en question était le numéro 1498 d'Ageless Patterns. Autrement dit, une reproduction intégrale d'un patron de La Mode Illustrée.

Corsage croisé, 1893
Je vous remets l'image - scannée sur la pochette du patron parce que l'illustration dans mes magazines est coincée dans la pliure de la reliure, et que je n'arrive pas à la scanner en entier même avec mon petit scanner à main.
La Mode Illustrée, 16 avril 1893

Le patron

Pour tout vous dire, c'est un projet qui a été commencé il y a *très* longtemps, et a connu pas mal de fluctuations.
J'avais d'abord commencé par me pencher sur les livres de Kristina Harris pour y pêcher un patron - suivant l'inspiration de Jen de Festive Attyre. J'avais fait une toile, mais je n'étais pas foncièrement satisfaite - tellement pas que je n'en ai gardé aucune trace photographique. La manche pendouillait et manquait de volume.
J'avais quand même réussi, en piochant un peu chez Harris, un peu dans un autre bloc de corsage victorien, un peu en drapant, à obtenir une doublure bien ajustée. Elle n'est pas parfaite - la pince horizontale à la poitrine du XVIIIième vous fait coucou !
Blouse 1893, doublrue intérieure
C'est ce qui arrive quand on laisse traîner un projet pendant plusieurs années et qu'on change de corset et de silhouette entre-temps... J'avais le choix entre refaire complètement les devants ou mettre une pince historiquement décalée, j'ai choisi l'option la moins chronophage.
Ni l'inspiration, ni les manches ne coopéraient pour le reste du vêtement, et au bout d'un moment je suis passée en mode "oh, et puis m... !", et j'ai décidé de faire ce que je ne fais pour ainsi dire plus : utiliser un patron acheté. Tout l'extérieur de la blouse est donc coupé d'après le modèle de corsage croisé de La Mode Illustrée.
Reconstitution de tenue Belle Epoque, jupe en laine et corsage-blouse en taffetas
Et au final, ça rend plutôt bien ! En me basant sur le patron de ma doublure, j'ai adapté légèrement les pièces de devant et du dos - principalement en rallongeant le torse. Les manches ont juste été un peu resserrées sur l'avant-bras, mais la partie bouffante a vraiment été une bonne surprise, je n'ai pas touché au patron d'origine.
Blouse 1893, taffetas vert amande

Les matières

Après avoir eu du mal à choisir le patron, il a fallu que je me décide sur la matière. La description de la blouse de 1893 indique qu'elle peut être faite en soie changeante rayée, mais aussi dans des matières lavables (i.e. coton ou lin).
Dans les magazines de la période qui m'intéresse, on trouve par exemple, au fil de plusieurs chroniques de 1898 :
  • "chemisette en percale imprimée,  en batiste de couleur ou en étoffe fil et soie"
  • "blouse en taffetas écossais ou glacé"
  • "blouse de soie ou de foulard"
  • "chemisettes en soie légère, surah, satin Liberty"
  • "chemisette en batiste, en percale, en piqué, [...] en toile de soie"
Blouse en tissu écossais, 1897
La Mode Illustrée, 1er mai 1897
J'avais l'embarras du choix, entre une blouse plus légère, moins habillée en coton, ou quelque chose de plus formel en soie.
Je vous reproduis ici quelques extraits qui détaillent un peu plus les matières recommandées :
"Ce qui domine d’une façon évidente, c’est la blouse en taffetas glacé : taffetas-mousseline choisi dans les teintes les plus vives, les plus brillantes et les plus claires; rose, corail, cerise, turquoise, orangé, jaune paille , lavande, toujours glacés de blanc. On
emploie beaucoup aussi ces mêmes taffetas semés de gros pois blancs brodés au plumetis. [...]
Beaucoup de chemisettes, faites ainsi, sont toutes blanches, en faille. ou en taffetas; d’autres, blanches aussi, sont garnies à la patte de la fermeture, au col et aux: manchettes, de deux plissés superposés : celui de dessus en taffetas écossais, d’un beau coloris où le rouge domine; celui de dessous en soie blanche, et dépassant l’autre d’un demi-centimètre au plus.[...] ces mêmes chemisettes se font encore en percale imprimée, en batiste ou en linon de couleur unie [...]
Enfin, les transformations de Ia blouse étant infinies, nous la voyons figurer également parmi les parures de grand luxe et de haute fantaisie; elle se fait alors en beau taffetas  uni ou glacé, tout blanc, ou bien d’une de ces jolies teintes nouvelles, si fines et d’une, douceur si harmonieuse : lavande, pervenche, violette de Parme. [...]
D‘autres chemisettes sont faites tout en mousseline de soie plissée-duchesse, et recouvertes d’une blouse de tulle blanc ou noir, brodée de fleurs en rubans rococos; d’autres encore, en mousseline de soie plissée accordéon, d’une couleur fraîche et vive, servent de transparent à une seconde blouse en mousseline de soie noire toute brodée de jais."
La Mode Illustrée
,  26 juin 1898
A ce stade, j'avais de gros doute sur le résultat final, et j'ai préféré utiliser un reste d'un autre projet qu'investir dans un nouveau tissu, ou utiliser un des taffetas à carreaux que je garde en réserve. J'ai repris le taffetas acétate de ma robe à l'anglaise à zone.
J'ai fait le choix du synthétique pour les mêmes raisons qui me le font souvent employer : moindre coût et facilité d'entretien. En outre, ce taffetas en particulier évite l'aspect trop plastique de certains polyester, et a un tombé et une légèreté proche des taffetas de soie - je n'ai pas souvent réussi à retrouver cette qualité, et c'est bien dommage.
Corsage croisé 1893


Doublure et structure

Les blouses, ça a beau avoir l'air flou et bouffant, dans les faits il y a presque toujours une doublure ajustée, comme un corsage classique, en dessous.
Seule exception : les instructions du patron conseillent de l'omettre si la blouse est faite en coton ou lin.
Blouse années 1890 - la transparence permet de voir qu'il n'y a effectivement pas de doublure.
Via le Met
Ca semble logique quand on pense à leur utilisation comme tenue de sport.
Par contre pour toutes les blouses en soie, et dès qu'on sort de la tenue de sport, il nous faut une doublure.
"Dans les costumes de ville, les blouses, les chemisettes flottantes, si vagues, si floues en apparence, sont toutes établies et fixées sur une doublure absolument collante et minutieusement baleinée."
La Mode Illustrée,
6 février 1898
Blouse 1893, doublrue intérieure
La doublure est en coton non blanchi de base. J'avoue, après l'avoir essayée, je n'ai pas éprouvé le besoin de rajouter de baleines. Pas de plis... flemme ! Elle se ferme devant par une bande de crochets.
Le taffetas est fixé sur la doublure au niveau des côtés (juste quelques petits points dans la valeur de couture), et en bas du dos.
Blouse 1893, taffetas vert amande
L'ampleur du dos est concentrée au milieu, et régulée par des fronces qui sont fixées sur la doublure. La ceinture arrière se place par-dessus et cache le tout.
Le bout de taffetas qui dépasse dessous se retrouve planqué sous la jupe quand la blouse est portée :
Tenue 1893, de dos
... oui ma jupe avait un poil tourné à la fin du shoot...
La fermeture se fait en plusieurs étapes. D'abord, le devant gauche vient s'accrocher à un crochet juste un peu à droite de la fermeture de la doublure.
Blouse 1893, fermeture croisée
Le devant droit est un peu plus grand, il est plissé en pointe au bas de la blouse, au niveau de la couture de droite. A ce niveau, il est prix dans une ceinture. La ceinture fait le tour du corps derrière, à la taille, et vient s'agrafer sous le bras droit, au niveau de la couture.
Blouse 1893, fermeture
Pour la fermeture du col, je ne voulais pas un col ouvert devant comme sur le modèle d'origine - à la fois par préférence personnelle et parce que les cols fermés semblent plus courant dans les gravures d'époque.
Corsage-blouse en surah
Blouse en tulle brodé
La Mode Illustrée, janvier 1893 (haut) et juin 1898 (bas)
Après beaucoup d'hésitations, je suis finalement partie sur un col droit tout simple, sans fanfreluches ou petits volants - qui semblent d'ailleurs plus courants vers 1898 qu'à la date de parution de mon patron.
Le col se ferme sur le côté gauche, par une série de crochets.
Blouse 1893, taffetas vert amande
Blouse 1893, taffetas vert amande
Le col est composé de deux épaisseurs de coton, renforcées à gauche et à droite par de petits ressorts.
Soutiens de col

Le volume des manches

Une des questions récurrentes de mon projet de garde-robe Belle Epoque, c'est le volume des manches, et comment l'obtenir. Qu'est-ce qu'il y a sous le tissu ? Rembourrage, baleinage, triplure ? comment obtenir tout ce volume ?
Photographies d'époque


Il existe en ligne deux exemples de structures rigides identifiées comme des supports de manches des années 1890. Le premier est une construction de coton baleinée, visible sur le site du Met.
Support de manches, années 1890, USA ou Europe, Met Museum
Le second est passé sur eBay il y a plusieurs années, c'est en gros une série de cercles en fil de fer reliés par un ruban de sergé.
J'ai tendance à prendre celui-ci avec des pincettes, vu que son origine et son identification se perdent dans les profondeurs du web de 2010.
J'ai un souci avec ces deux formes de supports de manches : mon patron ne les mentionne absolument pas. Par contre, sous la manche gigot en taffetas, il prévoit une doublure qui épouse le bras - ça ne laisse pas vraiment la place pour passer une construction volumineuse de ce type, et il me semble très difficile pour une manche renforcée ainsi d'acier "d'entrer très aisément sous la veste ou le boléro", comme sont censées le faire les blouses en juin 1898.

Que disent les textes de l'époque ? Pas grand chose, malheureusement.
J'ai relevé quelques mentions, mais elles restent rares. J'ai pour le moment uniquement déniché deux textes de 1896 qui mentionnent la construction des manches, et le seul artifice employé d'après ces sources semble être une triplure de tissu plus ou moins raide. "Manches doublées en plein d'un tissu raide" pour soutenir l'ampleur du gigot, qui semblent moins populaire à cette date (La Mode Illustrée, 26 janvier 1896). La Mode Illustrée recommande de passer à  une doublure "d'une mousseline à peine apprêtée, qui les préserve simplement d'un affaissement complet en leur laissant toute leur souplesse." (ibid., 1er mars 1896)
A la limite, ils envisagent d'utiliser une bande de crin plissée de 20cm (de haut) par 60cm (de large), placée dans la tête de manche, pour soutenir le bouffant sur le haut du bras - ça, au moins, ça me semble une solution qu'on peut facilement glisser entre la manche bouffante et sa doublure  plaquée.
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Mais quand même, la plupart des textes ne mentionnent pas de support particulier, les gravures n'en montrent pas, les exemples conservées se comptent sur la moitié des doigts d'une seule main... est-ce qu'on ne pourrait pas, tout simplement, construire la manche telle qu'indiquée sur le patron, sans étapes supplémentaires ?
C'est ce que j'ai fait.. et... ça marche !
Manche gigot Belle Epoque, Leg of mutton sleeve
Plusieurs facteurs sont à prendre en compte :
  • la doublure ajustée, serrée sur l'avant-bras, tient le gigot de la manche en place sur le biceps et l'empêche de simplement glisser le long du bras ;
  • ma blouse est en taffetas, un tissu qui se tient très bien seul. Je doute qu'on puisse obtenir la même chose sur un simple coton, sauf à recourir à l'amidon (en même temps, amidonner ses blouses, c'est histo) ;
  • je me suis assurée que la couture d'emmanchure est vraiment sur le dessus de l'épqule, et pas sur sa pointe. Comme ça, le rond du bras remplit et soutient le haut de la manche. Je pense avoir un peu exagéré la chose par rapport aux photos d'époque, je tenterai de redescendre un chouïa ladite couture sur la prochaine version.
Comme vous le voyez sur la photo, la manche est resserrée sur l'avant-bras, et nécessite une fente boutonnée pour être enfilée.
Blouse 1893, taffetas vert amande
Doubure en coton à carreaux, parce que je fais de la récupération pour les bouts qui ne se voient pas. La matière est bonne, la texture aussi.
Il y aurait sûrement toute une recherche à faire au niveau des boutons, je vous avoue que j'ai pris des boutons modernes avec un genre un peu ancien qui avaient la bonne taille et ne déparaient pas trop, sans me poser trop de questions à leur sujet. Les boutons, ce n'est pas mon domaine d'expertise, du tout.

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Nous avons improvisé un petit shoot avec Eysmé - je porte la blouse en taffetas avec ma jupe en laine (patron de 1898). Pour les dessous, j'ai mon jeu complet années 1890 : chemise, culotte,  jupon de dessous en lin, jupon de dessus en taffetas, cache-corset assorti à la chemise. Comme corset j'ai mis mon corset court noir et rose.
Et je me suis amusée à tenter des retouches façon photo ancienne :
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Pour plus d'informations sur les supports de manches des années 1890, Nicole Rudolph a comparé différentes options dans un article pour Foundations Revealed (article payant par contre).
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